Qu'est-ce qu'une œuvre d'art doit à l'imagination?
Si, parcourant les allées d’un musée, nous passons en revue quelques-uns des objets que la le consensus social a baptisé du nom d’œuvre d’art, nous découvrons principalement des images adhérant à un support matériel. Avec la marche des siècles, les images peintes semblent devenir de plus en plus réalistes : invention de la perspective au début de la Renaissance, caractères de plus en plus individué des personnages, y compris dans les scènes religieuses, jusqu’à la laideur, respect scrupuleux des étapes la décomposition d’un cadavre (cf. les descentes de croix), vivacité et variété des couleurs grâce à la technique de la peinture à l’huile, etc. Avec les natures mortes hollandaises, il semble même que l’anecdote du peintre Zeuxis devienne un fait d’actualité : on voudrait mordre dans ses fruits à moitié épluchés et boire dans ses verres transparents. L’illusion, pour peu qu’on oublie le cadre du tableau, est parfaite. La tâche de l’art semble donc de reproduire le réel avec toujours plus d’exactitude, ce qui dépouillerait progressivement les œuvres de toute fonction symbolique, et donc de tout appel à l’imagination, aussi bien celle du peintre que celle du spectateur, si l’on entend par là la faculté de se représenter ce qui est absent en tant que tel. Mais, à peine formulée, une telle tâche révèle son absurdité : tout d’abord, une parfaire reproduction du vivant est impossible, sinon justement par les voies de la nature (la sexualité), en sorte que l’art se condamnerait lui-même à échouer si tel était son projet ; ensuite, si les choses nous sont déjà connues et accessibles — ce qu’implique toute évaluation du degré de ressemblance entre l’œuvre d’art et le « réel » et donc tout progrès en ce domaine —, à quoi bon en avoir des doubles ? Davantage, même en admettant que l’art doive nous instruire plutôt que nous plaire, ce serait la plus radicale trahison de la vérité que de faire