Roland barthes, mythologies
Roland Barthes
"Faute de pouvoir encore établir les formes dialectales du mythe bourgeois, on peut toujours esquisser ses formes rhétoriques. Il faut entendre ici par rhétorique un ensemble de figures fixes, réglées, insistantes, dans lesquelles viennent se ranger les formes variées du signifiant mythique. Ces figures sont trasparentes, en ceci qu'elles ne troublent pas la plasticité du signifiant ; mais elles sont déjà suffisamment conceptualisées pour s'adapter à une représentation historique du monde (tout comme la rhétorique classique peut rendre compte d'une représentation de type aristotélicien). C'est par leur rhétorique que les mythes bourgeois dessinent la perspective générale de cette pseudophysis, qui définit le rêve du monde bourgeois contemporain. En voici les principales figures : 1° La vaccine. J'ai déjà donné des exemples de cette figure très générale, qui consiste à confesser le mal accidentel d'une institution de classe pour mieux en masquer le mal principiel. On immunise l'imaginaire collectif par une petite inoculation de mal reconnu ; on le défend ainsi contre le risque d'une subversion généralisée. [...] 2° La privation d'Histoire. Le mythe prive l'objet dont il parle de toute Histoire [NDBP : Marx : "nous devons nous occuper de cette histoire, puisque l'idéologie se réduit, soit à une conception erronée de cette histoire, soit à une abstraction complète de cette histoire" Idéologie Allemande]. En lui, l'histoire s'évapore [...] il ne peut venir que de l'éternité : de tout temps il était fait pour l'homme bourgeois [...] On voit tout ce que cette figure heureuse fait disparaître de gênant : à la fois le déterminisme et la liberté. Rien n'est produit, rien n'est choisi : il n'y a plus qu'à posséder ces objets neufs, dont on a fait disparaître toute trace salissante d'origine ou de choix. Cette évaporation miraculeuse de l'histoire est une autre forme d'un concept commun à la plupart des mythes bourgeois,