Ru de kim thuy
Comme l’indique la première ligne de Ru, Kim Thúy est « venue au monde » en 1968, « pendant l’offensive du Têt » au cours de laquelle des commandos « Viêt-Cong » occupèrent plus d’une centaine de villes dont Saigon, sa ville natale. Cette information liminaire donne en quelque sorte la vibration initiale d’une prose qui tiendra le lecteur en haleine tout autant par la précision des détails donnés que par sa poéticité intrinsèque. Alors que l’horizon d’attente du lecteur aurait pu ne lui laisser présager que les pires images, la restitution littéraire du calvaire laisse malgré tout l’initiative au beau et même à la joie. Calvaire, il y eut pourtant : celui d’une petite vietnamienne devenue, au prix de mille et une épreuves, femme occidentalisée dans l’horizon lointain de sa lointaine Indochine. Kim Thùy n’a-t-elle pas quitté le Vietnam communiste avec d’autres boat people en 1978 à l’âge de dix ans ? N’a-t-elle pas été ballotée trois années durant, jusqu’au vomissement sur le Golfe de Siam et trempée jusqu’aux os sous la tente trouée d’un camp de réfugiés en Malaisie ?
Par la suite, plus au calme et au sec, sédentarisée à Granby à mi-chemin entre Montréal et Sherbrooke malgré l’éternel mouvement qui anime les gens-bateaux (traduction littérale de boat-people), elle a refait sa vie, eu deux enfants, parlant et pensant en français jusqu’à décider, un jour, de réécrire son aventure humaine justement dans cette langue ; d’abord pour ses enfants, ensuite pour les siens – « aux gens du pays » - à qui le texte est dédié, enfin à ses hôtes québécois, à qui elle doit, comme elle l’indique en substance, son passage de l’enfer au « paradis terrestre ».
Plus dialogique que strictement monologique, son récit évocatoire se fait perméable aux autres destins des Vietnamiens exilés par nécessité. Il semble habité par tous leurs visages, leurs attitudes, leurs paroles ; habité par ces mille vies qui lui ont donné la force de