Seneque
Notre texte est tout entier bâti sur une hypothèse de départ que de simples exemples suffisent à réfuter. Cette hypothèse est la suivante : nous n'agirions en toute chose que par intérêt, que ce soit sous la forme immédiatement compréhensible de la recherche du profit matériel, ou sous les formes plus subtiles que peuvent revêtir la complaisance, et la vanité. Cette hypothèse revient en fait à concevoir la bonté morale à partir de la logique de l'échange, selon laquelle je consens à échanger un service ou un bien contre autre chose, dans le but d'en retirer un profit ou un avantage quelconque. Certes, il est incontestable que les hommes agissent parfois (et même souvent) par calcul : chacun soupèse par avance ce qu'il risque de perdre, et le compare à ce qu'il pourrait gagner. Ce que conteste Sénèque en revanche, c'est l'idée selon laquelle ce comportement intéressé ferait le tout de la conduite humaine : l'échange suppose réciprocité, en sorte que devraient être réputées par avance impossibles toutes les bontés gratuites, accordées sans espoir de retour sous quelque forme que ce soit. Si en vérité on investissait ses bienfaits comme autant de judicieux placements, en espérant leur retour avec usure, alors effectivement, nul n'aiderait celui qui part « pour des pays situés sous d'autres cieux » sans devoir en revenir, puisqu'il ne pourra jamais s'acquitter de sa dette ; non plus que le malade, à qui il ne reste pas assez de temps à vivre pour pouvoir seulement nous payer de retour. De même, celui qui se saurait sur le point de mourir n'aurait plus d'yeux pour personne, pas même pour ceux chez qui un peu d'aide judicieusement offerte pourrait rapporter beaucoup, puisque pour ce beaucoup-là il sera toujours trop tard, la mort venant entre-temps comme solde de tout compte.
b) L'intérêt s'oppose à la