Spleen De Paris IV
Baudelaire qui abhorrait la photographie, adorait la peinture. En témoignent ses innombrables critiques d’art rééditées volumineusement dans la belle collection de la Pléiade. Cet amour du 3ème art pour reprendre la classification de Hegel transpirera dans son Spleen de Paris, où Baudelaire “croque” au sens propre et figuré des scènes de la vie parisienne…
1. C’était l’explosion du nouvel an: chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d’une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort.
Dans sa détestation de l’égalité, et de l’égalitarisme, Baudelaire s’en prend même à une tradition millénaire : les vœux de la bonne année, qui ont toujours pris le visage humain de la plus pauvre des compassions : celui de l’hypocrisie sociale, qui conçoit la solitude comme un vice. Hypocrisie encadrée, institutionnalisée et rationalisée. Spectacle sombre et éclatant. Il faut imaginer Baudelaire seul, un soir de Saint-Slyvestre, déambuler sauvage et singulier dans les rues de Paris, sans personne, sans ami, sans fête. Oxymore parfaite et sèche au Parisien contemporain.
2. Au milieu de ce tohu-bohu et de ce vacarme, un âne trottait vivement, harcelé par un malotru armé d’un fouet. Comme l’âne allait tourner l’angle d’un trottoir, un beau monsieur ganté, verni, cruellement cravaté et emprisonné dans des habits tout neufs, s’inclina cérémonieusement devant l’humble bête, et lui dit, en ôtant son chapeau: “Je vous la souhaite bonne et heureuse!” puis se retourna vers je ne sais quels camarades avec un air de fatuité, comme pour les prier d’ajouter leur approbation à son contentement.
“Dans Salon de 1846et non sans ironie, Baudelaire déclarera « l’habit noir et la redingote ont non seulement leur beauté politique, qui est l’expression de l’égalité universelle, mais encore leur beauté poétique, qui est l’expression de l’âme publique ; – une