Stupeur et tremblement
Plusieurs éléments éclairent en partie les réactions extrêmes d'Amélie dans Stupeur et tremblements. Ainsi, son enfance japonaise, symbolisée par ce jardin tout en pierres[1], est placée sous le signe de l'idéal, plus proche du rêve que de la réalité: ces souvenirs très anciens peuvent sans doute expliquer les difficultés d'Amélie à affronter une réalité qui ne correspond pas à cette image idéalisée.
La figure de mademoiselle Mori, cette incarnation de la beauté nippone, aussi parfaite que le jardin de pierres dont se souvient Amélie, constitue dans cette perspective un véritable piège pour la jeune fille: d'un côté, cette beauté correspond totalement à l'image qu'Amélie se faisait du pays de son enfance - d'où son empressement à partager avec elle leurs souvenirs «communs» -; mais, de l'autre, Fubuki est en fait une concurrente - redoutable - dans le monde du travail. Pourtant, Amélie refuse de renoncer à son idéal rêvé, et, face à l'intransigeance de mademoiselle Mori, elle dissocie complètement l'image de la belle Japonaise - qu'elle continue à contempler comme elle contemplait le jardin de pierres - et la réalité où agit Fubuki, à savoir un monde de hiérarchies et de concurrence.
Toute la personnalité d'Amélie, telle qu'elle est décrite dans le film, tient donc dans son rêve, et il lui est extrêmement difficile de renoncer à ce rêve qui est une partie essentielle d'elle-même: le fait qu'il s'agisse de son premier emploi et qu'elle soit vraisemblablement seule au Japon - dont on ne verra que l'immeuble de la compagnie qui l'emploie - contribue d'ailleurs certainement à son enfermement dans cet idéal illusoire, car elle n'a pas d'autre idéal qu'elle aurait précédemment forgé et auquel elle pourrait se raccrocher, sauf celui de devenir écrivain, ce qui constituera précisément sa véritable «porte de sortie».
La personnalité d'Amélie se caractérise donc certainement par la grande valeur qu'elle accorde à l'enfance, au rêve, au souvenir,