La dramaturgie de BECKETT, de GENET, de IONESCO, d'ADAMOV en ses débuts nous montre des êtres qui ont perdu leurs attaches et leurs repères intimes aussi bien que cosmiques et qui errent, le plus souvent immobiles, à la recherche d'un introuvable refuge. Allégorie d'une humanité en souffrance dans les décombres du "Théâtre du Monde" d'où ces personnages de LA PARODIE (1949) et de L'INVASION (1950) d'ADAMOV, des BONNES (1947) et du BALCON (1957) de GENET d'EN ATTENDANT GODOT (1953) et FIN DE PARTIE (1957) de BECKETT, de LA CANTATRICE CHAUVE (1950) et de VICTIMES DU DEVOIR (1953) de IONESCO qui se sentent et se disent prisonniers de forces invisibles dans un univers hostile. D'où également ces couples, ces familles qui s'entredéchirent et se convulsent hystériquement dans les pièces de IONESCO et , un peu plus tard de l'anglais PINTER... Sans parler d'influence directe, on peut penser que HUIS CLOS (1944) de SARTRE, la pièce à la fois la plus théâtrale et la plus philosophique de l'écrivain, préside à la naissance du "théâtre de l'absurde". N'introduit-elle pas, en effet, sur la scène des principes dramatiques que partageront BECKETT, ADAMOV, GENET: une façon quasi rétrospective d'aborder la vie, en quelques sorte depuis le seuil de la mort; la réversibilité du microcosme (une chambre) et du macrocosme (l'univers); une relation interpersonnelle réduite à la trame des rapports maître-esclave ? Parcelles de vie prises dans les tourbillons du néant, êtres repliés sur eux-mêmes, enkystés dans leur "vieux coins" (BECKETT) et/ou perdus dans le no man's land, créatures d'un langage qui prolifère de façon cancéreuse et se perd dans le "non sens", les personnages du "théâtre de l'absurde" sont des anti-héros par excellence et ils atteignent, tels les Bérenger et Choubert de IONESCO ou le Lucky et Clov de BECKETT, aux plus petites dimensions humaines possibles.