Une nouvelle hors du commun
Il est difficile de trouver des ressemblances entre les deux situations familiales décrites dans L’Amant et Le Ventre de l’Atlantique, si ce n’est que les deux narratrices n’ont toutes deux pas connu leur père. D’un côté, Marguerite Duras nous laisse à voir une famille totalement dysfonctionnelle où chacun semble presque un étranger pour l’autre : la mère est emmurée dans sa dépression, les frères sont distants et égoïstes (en particulier l’aîné), la narratrice cherche dans la liaison avec le Chinois un moyen d’échapper à la réalité familiale. De l’autre côté, les liens entre les membres de la famille de Salie apparaissent très fort, malgré parfois la distance qui les sépare : Salie joue un rôle très protecteur pour son frère, la grand-mère (qui assume le rôle de la mère) est aussi bienveillante avec Salie et Madiké, même s’il est plus jeune et sans doute davantage centré sur lui-même, laisse percevoir une grande affection pour sa sœur.
L’Amant est un peu une illustration de la phrase de Gide, « Famille, je vous hais ». Plus précisément, toutes les relations intrafamiliales sont marquées par cette dualité amour absolu/haine. La narratrice elle-même nourrit à la fois un amour désespéré pour sa mère et une haine profonde. Elle a aussi un amour absolu, qui tend même vers l’inceste, pour son petit frère et une haine (qui n’est pas non plus sans amour) pour son frère aîné. La mère aussi a des sentiments très forts pour ses enfants. Elle a d’abord et avant tout cet amour absolu et inconditionnel pour le frère aîné, malgré tous ses défauts. Cette préférence pour un de ses enfants est d’une extrême violence. Cela peut d’ailleurs expliquer les sentiments ambivalents qu’a la narratrice pour sa mère, à la fois la haine et l’incompréhension de voir que sa mère aime avant tout l’aîné, et cette volonté malgré tout qu’a chaque enfant de vouloir se faire aimer de ses parents.
Par contraste, la famille de Salie paraît évoluer dans un climat serein, apaisé. La famille