Victor Hugo, Crépuscule
L'alternance des verbes d'état et des verbes d'action et de perception préfigure la suite du poème : un paysage statique qui va s'animer et s'éclaircir peu à peu : d'abord un étang dont les eaux mortes ont des reflets moirées, puis une clairière au fond d'un bois profond et ténébreux, puis des chemins bruns peuplés de promeneuses en robe blanches, puis un cimetière plantés d'ifs, puis des couples passant sous des noisetiers et enfin une chaumière sous le ciel étoilé
"Les arbres sont profonds" : ce ne sont pas les arbres qui sont profonds, mais la forêt. On parle d'hypallage : on paraît attribuer à certains mots d'une phrase ce qui appartient à d'autres mots de cette phrase, sans qu'il soit possible de se méprendre au sens. Selon Guiraud, le procédé relève de l'esthétique du vague ; il tend, en supprimant le caractère de nécessité entre le déterminé et le déterminant, à libérer ce dernier. L'hypallage devient ainsi une variété de l'irradiation. (Bernard Dupriez, Dictionnaire des procédés littéraires). "Les arbres sont profonds et les branches sont noires" : l'hypallage évite le cliché "la forêt est profonde", mais permet également de créer par irradiation une atmosphère d'obscurité, de "noirceur".
"Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines" : la mousseline est une étoffe de coton blanc. Les blanches mousselines désignent à la fois l'étoffe et, par métonymie, les promeneuses portant des robes de mousseline. V. Hugo veut "faire voir" la blancheur des robes ; des couleurs et des formes, plutôt que les promeneuses. Les deux premières strophes brossent un tableau aux dominantes noires, brunes et blanches. On pense à l'Embarquement pour