Le vieil éphèmère

La nuit était tombée depuis longtemps, dans la campagne parisienne, loin des bouillonnements de la grande

ville, avec ses lumières, ses ombres sur le pavé, des bourgeois hypocrites, bien habillés, qui, dans la nuit, se promenaient avec leurs familles dans les rues de Paris. Mais à la campagne, la Lune éclairait les champs et les prés glacés par le gel. Les étoiles étincelaient, seul le hululement des hiboux résonnait dans la nuit fraîche. La place du village était déserte, silencieuse, sans un bruit de pas ni un éclat de voix. Le petit café, la boulangerie et le kiosque étaient fermés, inanimés, seule une douce odeur de fleurs flottait dans l’air frais. Elle émanait d’un vieux balcon en pierre et en bois craquelé, tout à fait intemporel, sur lequel étaient entreposés bon nombre de pots fleuris qui répandaient un parfum délicieux, enivrant. Bien sûr, ce n’est pas en hiver que les plantes fleurissent mais celles­ci avaient quelque chose de particulier. Monsieur Ambroise était accoudé au balcon, il humait les effluves florales, ses yeux grands ouverts ne laissant transparaître aucune fatigue; on aurait dit qu’il passait ses nuits à son balcon, fasciné par ses plantes. Ce vieux monsieur de plus de soixante­dix ans, inutile à la société parisienne, était rabougri par le temps, laid, le nez recourbé, presque invisible aux yeux des autres. Il était très pâle, mais lorsqu’il sentait l’odeur de ses fleurs, son teint se colorait, il paraissait plus jeune, plus beau. Qui était­il ? Il n’y avait aucun intérêt à le savoir, alors personne ne le savait. C’est une façon de penser égocentrique, les gens sont avides d’or et de plaisir mais Monsieur Ambroise était à part. Il ignorait ce qu’était l’or et le seul plaisir qu’il