L'esthétique permet-elle de penser l'art?
Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle émergent des discours sur l’art destinés à une longue postérité. Aesthética, de Baumgarten, met le feu aux poudres en cristallisant cette nouvelle approche de l'art par l'étude des sens et de la notion de Beau. Mêlant psychologie, sociologie, philosophie et histoire de l'art, l'esthétique devient une « science » à part entière, réfutée par certains, élevée par d'autres. Si en tant que discipline philosophique, elle tend assurément à appliquer à l'art – son objet principal d'étude – la rigueur d'une analyse logique du langage, l'esthétique permet-elle néanmoins de penser l'art ? Nous verrons dans un premier temps dans quelles mesures l'esthétique présuppose l'art comme support de réflexion, de connaissances, avant de nous pencher sur ses limites, jusqu'à son dépassement.
L'esthétique est toute forme de saisie immédiate et intuitive d'un contenu. Entre la philosophie – entreprise spéculative de construction d'une intelligibilité globale – et l'art – création d'objets concrets et particuliers – il y a la sensibilité, porte ouverte entre sensible et intelligible. Pour Baumgarten, cette faculté de juger esthétique est comprise comme « inférieure » car elle est nécessairement indistincte, à l’inverse de la connaissance intellectuelle, claire et distincte – donc non-poétique. Kant en revanche ne pense pas la sensibilité comme de l'intelligence obscurcie, mais comme une faculté ayant son fonctionnement propre, une faculté essentielle à la construction d'une pensée conceptuelle. Ainsi – à l'instar de Schelling et Hegel – Kant conçoit-il la finalité de l'art comme un plaisir accompagnant la représentation en tant que mode de connaissance. Adorno n'en pense pas moins lorsqu'il affirme que « toutes les œuvres d'art, et l'art en général, sont des énigmes. Le fait que les œuvres disent quelque chose et en même temps le cachent, place le caractère énigmatique sous l'aspect du