L'Ilusion Ou Approche De La Vérité Du Théâtre
I. Un art de l'artifice et de l'illusion
1. La scénographie donne à voir un univers factice
Le théâtre est essentiellement « représentation ». Or « représenter » signifie « remplacer », « tenir lieu de », « figurer » (comme en peinture). Le verbe implique la notion d'illusion. Et, de fait, rien n'est vrai au théâtre. Tout ce qui fait la réalité de notre vie – le lieu, l'espace et le temps, mais aussi la parole – y est transformé. Diderot note : « On se rend au spectacle avec la persuasion que c'est l'imitation d'un événement et non l'événement même qu'on y verra » (Les Bijoux indiscrets).
Le théâtre est un univers dominé par le factice : la lumière des projecteurs peut chercher à imiter celle du soleil, les décors ne sont que des aplats de peinture ou d'habiles agencements de stuc, les armes, fournies par des boutiques spécialisées, sont évidemment incapables de tuer. Dans la période classique, si, d'un côté, la séparation entre le public et la scène, lieu de la fiction, est matériellement établie – rideau, scène surélevée –, d'un autre, on cherche à mettre en place des décors qui établissent une continuité entre l'espace réel et l'espace scénique, par des effets de trompe-l'œil. Les metteurs en scène contemporains s'affranchissent de plus en plus de cette illusion réaliste, et y substituent souvent des décors symboliques. Si l'ambition d'imiter le réel est remisée au second plan, l'artifice demeure toutefois. Dans la mise en scène de L'École des femmes par Viguier, par exemple, le « logis d'Agnès » est une sorte d'espalier en bois, dont les barreaux suggèrent l'idée d'emprisonnement. Ainsi, qu'il soit « réaliste » ou symbolique, l'espace scénique n'a rien de naturel ; le spectateur le sait et l'accepte, comme il accepte le discours théâtral, lui aussi dominé par l'artifice.