Albert Cossery

Il est des hommes uniques à travers le regard qu’ils portent sur le monde, et notamment à travers leurs modes et philosophies de vie. En effet, au détour d’une rue, on peut les croiser, eux qui, enfants, ont rêvé de venir vivre à Paris. En toute saison, comme chaque jour aux environs de quatorze heures trente, l’écrivain Albert Cossery sort de l’hôtel où il habite depuis presque soixante ans, à l’heure où, il y a longtemps, que les travailleurs ont intégré les lieux de leur esclavage.
Né au Caire en 1913, Albert Cossery prend son temps et publie sept livres en soixante ans, plongeant ainsi ses lecteurs dans la magnificence de l’Orient. Ses personnages lui ressemblent, irrigués de sa plénitude aristocratique ; s’ils se retrouvent, c’est qu’ils sont de la même famille, et que leur dandysme nonchalant les conduit invariablement au café arabe, là où la vie sans contraintes s’écoule, avec un peu de haschich, sous le sablier du temps.
Sa philosophie est celle de ses personnages, tous semblables : « L’intelligence a été donnée à l’homme pour lui permettre le constat de l’éternelle imposture [sur laquelle] repose la marche du monde. », précise-t-il, lors d’une conversation avec Michel Mitrani. Et, une fois cette prise de conscience effectuée, la vie se révèle belle et joyeuse, le monde merveilleux. Il s’agira alors de ne viser que son accomplissement dégagé le plus possible des contraintes exercées par le Léviathan social. Au lieu de recourir aux armes de guerre pour combattre les imposteurs, mieux vaut les ridiculiser, s’en moquer ouvertement et publiquement via l’arme la plus efficace (et la plus « pacifique » ?) qu’est la dérision. En effet, chaque vocable, chaque phrase des textes de Cossery sont chargés d’une dose de dynamite subversive, de cette goutte d’ammoniaque qui tire les gens de leur torpeur en provoquant chez eux une rupture détruisant les fondements de cette fausse cohésion imposée par les mécanismes d’une société