Claude roy
Chapitre I : L’Imaginaire, vive impuni
- Pourquoi au lieu de vivre les écrivains écrivent-ils ?
(…) celui qui s’abstrait de la vie pour nous la restituer ; qui dans une réclusion volontaire et quotidienne s’arrache aux êtres et à leur chaleur, au soleil et à son éclat, pour évoquer ou célébrer avec des mots les êtres, le soleil, la nature ; l’homme qui renonce méthodiquement à être pendant une partie de sa vie pour imaginer qu’il est, et qui substitue enfin délibérément aux belles réalités où il est si bon de mordre, les artifices de l’allusion, du trompe-l’œil, de la fiction et de l’image. Oui pourquoi les écrivains écrivent-ils ?
- Écrire nous sépare et démembre, nous divise et divertit. On écrit avec cette ressource qu’on a distrait de sa vie, on écrit à la fois pour distraire de soi cette part qu’on souhaiterait, sinon préserver à jamais, du moins prolonger et protéger. On écrit pour se détourner et pour se retrouver, pour faire diversion et se faire plaisir.
- Lire, c’est ajouter aux rêves que nous engendrons ceux qu’ autrui a conçus pour nous.
Chapitre II : Des écrivains, pour quoi faire ?
Il est tout de même étrange, si courte la vie, de consacrer un après-midi à essayer de dire comment est la lumière du soleil tandis que les volets clos nous exilent de lui, à tenter d’évoquer un visage humain quand tant de visages au-dehors, connus ou inconnus, attendent que nous les retrouvions.
Un des premiers résultats de la bonne littérature c’est peut-être de nous aider à guérir de la maladie première, qui est de croire que nous sommes seuls à être comme nous sommes, seuls à nous sentir seuls, seuls à nous sentir tour à tour coupables d’être là et stupidement triomphants de l’être, seuls à n’être pas pareils-aux-autres.
Chapitre III : L’incertitude du rôle d’homme
Dès qu’il (l’homme) prend conscience qu’il est, il se constate comme une déchirure, il se saisit comme une fissure, il s’expérimente comme un fossé,