Comment le roman s’invente au xviiie siècle
7602 mots
31 pages
« Toute œuvre, tout roman raconte, à travers la trame événementielle, l’histoire de sa propre création, sa propre histoire », écrit T Todorov dans Littérature et signification1. Si l’ouvrage de J. Herman peut être considéré comme une mise à l’épreuve de l’idée de T. Todorov dans le corpus des romans du XVIIIe siècle, défi que personne n’avait jusque là « sérieusement relevé » (p. 231), il se présente également, plus fondamentalement, comme une tentative pour en ressaisir l’enjeu : la question de la mimesis littéraire. À la mimesis classique inspirée d’Aristote, qui repose sur l’imitation par le texte d’une réalité, le roman du XVIIIe siècle substitue une autre mimesis, uniquement textuelle : le texte se présente comme la reproduction d’un autre texte, qu’on aperçoit en filigrane. L’armature conceptuelle élaborée par J. Herman dans son ouvrage autour de la notion de récit génétique, qu’il substitue à l’expression employée par T. Todorov d’« histoire racontante », lui permet également d’aller beaucoup plus loin dans l’analyse formelle (lieux, modalités d’inscription, formes, traces du récit génétique dans le texte). L’ouvrage déplace par ailleurs l’angle sous lequel cette question a auparavant pu être abordée en montrant le lien qui unit, dans de nombreux romans, histoire du texte et destin du héros. Commentant la récente acquisition du manuscrit des mémoires de Casanova par la Bibliothèque Nationale de France, M.-L. Prévost écrivait ce mois-ci dans Chroniques2 : « à l’instar de son auteur, le manuscrit a vécu nombre de péripéties ». C’est précisément ce que cherche à ressaisir J. Herman : le reflet qui s’instaure entre les pérégrinations fictives d’un manuscrit séparé de son auteur, et les aventures d’un héros, que le roman du XVIIIe siècle montre par ailleurs souvent privé de filiation, à l’origine incertaine (Henriette-Sylvie, Marianne, Théophé…). Chez Platon, l’enfant séparé de son père est la figure du texte écrit : si l’on accepte de considérer que cette