Dissertation
Plus anxieux qu'ailleurs
Nos peurs sondées
Ce qui vous angoisse
Vincent de Gaulejac
Professeur de sociologie et directeur d’un laboratoire d’étude des changements sociaux à l’université Paris-VII, est l’auteur des Sources de la honte et de L’Histoire en héritage (Desclée de Brouwer, 1996 et 1999).
Plus anxieux qu'ailleurs
Objectivement, notre époque est bien moins terrible que d’autres, relativement récentes, notamment les années 30-40, où nous étions pris en tenaille entre le nazisme et le stalinisme. Aucune autre ne s’est autant souciée du bien-être et du bonheur des individus. Face au risque du chômage, de la maladie, nous disposons de couvertures sociales. Certes, le sida assombrit l’horizon de la sexualité, mais il n’est en rien comparable à la peste ! Pourtant, globalement, nous sommes, en France, beaucoup plus anxieux que d’autres peuples qui n’ont pas aussi facilement que nous accès aux soins médicaux et aux institutions d’aide…
Faut-il en conclure que nos angoisses sont illégitimes ? A mon sens, une angoisse est toujours légitime. Les nôtres sont issues d’un certain nombre de phénomènes contemporains qui, juxtaposés, produisent un climat d’insécurité personnel et collectif . En premier lieu, le développement de l’individualisme. Facteur d’isolement, il pousse de surcroît à considérer le moi comme un bien à faire fructifier, un capital dont l’individu est seul responsable. D’où l’obligation permanente d’être “soi-même”, de se réaliser, sur tous les plans – professionnel, personnel, affectif. Notre moi est devenu un fardeau pour chacun de nous.
Face à cette situation, certains se replient sur eux-mêmes – le chômeur, le jeune en recherche d’emploi par exemple, qui se pensent entièrement responsables de leur exclusion, n’ayant pas su faire le nécessaire pour s’intégrer. D’autres fuient dans l’hyperactivité et l’agitation permanente. L’angoisse n’est pas une émotion nouvelle. Pris entre ses désirs, illimités, et les frustrations imposées