Gargantua
Roméo et Juliette, la première tragédie amoureuse de Shakespeare, est par excellence la pièce où les contraires s’attirent, s’attisent (les images de feu, d’éclair, de chaleur, d’incandescence y reviennent sans cesse) et se détruisent. On a d’ailleurs pu y voir une œuvre marquée par la pensée et la philosophie de Paracelse, pour qui tout est poison et le remède une question de dosage. Lorsqu’il agit, il se propage comme un incendie dans l’organisme malade dit le médecin alchimiste de Bâle.
La Vérone des Capulets et des Montaigus est, elle aussi, en proie à l’incendie, au feu de la canicule qui y sévit à la mi-juillet, aux flambées de la violence endémique qui ne cesse de se rallumer, comme aux affres de la passion –toujours à cheval entre amour et haine, éros et thanatos—qui embrase les deux personnages-titre :
Friar Laurence These violent delights have violent ends, And in their triumph die like fire and powder, Which as they kiss consume (II.5.9-11)
Ces violents plaisirs ont une fin violente: Ils meurent lorsqu’ils triomphent, comme le feu et la poudre Explosent en s’embrassant.
Le baiser d’amour qui unit la « sainte » au « pèlerin » lors du sonnet mystico-érotique qui scelle leur rencontre au bal (I.4.) préfigure le baiser de mort qui les réunit à la fin dans le tombeau. Les mises en garde que Frère Laurent adresse à Roméo montrent assez à quel point l’amour peut mettre le feu aux poudres, combien la passion érotique se résume en cet instant fatal –quasi faustien, et on pense au baiser que Faust donne à la succube Hélène qui aspire son âme et le damne ainsi à jamais dans la pièce de Marlowe—du baiser de la poude et du feu.
C’est en cela que la passion devient poison, poison mortel en fait, à l’instar de celui qu’avale Roméo et que Juliette cherche à boire sur ses lèvres encore tièdes, quand jouissance et violence coïncident en une explosion