B. 1912, l’année capitaleLorsque, en novembre 1912, il se lance dans la rédaction de La Métamorphose, Franz Kafka est un jeune écrivain peu connu du grand public pragois. Certes depuis ses années de lycée, ce jeune homme, qui discerne en lui-même « une concentration au profit de la littérature », selon les termes de son Journal, ne cesse d’écrire en allemand – sa langue maternelle – de courts récits. En 1904 ou 1905, Kafka rédige Description d’un combat, le premier texte qui nous soit parvenu de lui ; en 1907 ou 1908, il compose Préparatifs de noce à la campagne, une nouvelle mettant en scène un personnage qui s’imagine l’espace d’un instant métamorphosé en insecte. Mais ses premières oeuvres de jeunesse, nécessairement imparfaites, ne connaissent pas, à l’exception de quelques textes édités dans la revue Hypérion en 1908, l’honneur de la publication. Extrêmement féconde, l’année 1912 marque un tournant dans la production littéraire de l’auteur. Menant ce qu’il appelle sa « vie de grandes manœuvres », Franz Kafka se livre à un labeur acharné, partageant son temps entre ses heures de travail à « l’Office d’assurances pour les accidents du travail pour le royaume de Bohème » où il a été embauché en 1908, et son activité littéraire, qu’il poursuit généralement jusqu’à une heure avancée de la nuit. Au mois d’août 1912, Kafka envoie chez l’éditeur Rowohlt, à Leipzig, son premier recueil de récits intitulé Regard (Betrachtung). Mince plaquette mais grand événement : les dix-huit récits qui constituent le recueil sont publiés le 10 décembre 1912 à huit cents exemplaires. Quelques mois plus tôt, dans la nuit du 22 au 23 septembre, Kafka écrit, en quelques heures de fièvre créatrice, l’une de ses meilleures nouvelles, Le Verdict (Das Urteil). Mettant en scène un fils qui se heurte à la volonté de puissance d’un père tyrannique, cette nouvelle annonce les thèmes que l’auteur reprendra par la suite dans La Métamorphose (Die Verwandlung) et dans la célèbre Lettre au père