La Raison et le Réel
La formule de Pascal, dans l´une de ses Pensées, pourrait ainsi constituer la meilleure mise en garde contre toute conclusion hâtive que nous serions amenés à tirer, à propos de la raison, en privilégiant exclusivement soit ses forces, soit ses faiblesses : deux excès, nous prévient Pascal, doivent en fait être évités, « n´admettre que la raison », mais aussi « exclure la raison ». C´est à mettre en évidence la logique de ces deux excès qu´il convient avant tout de s´employer, non pas seulement pour nous prémunir contre chacun d´eux, mais aussi pour esquisser, entre l´un et l´autre, entre un rationalisme inattentif aux limites de la raison et un antirationalisme choisissant de tenir la raison, selon la formule de Heidegger, pour « l´ennemie la plus acharnée de la pensée » (Chemins qui ne mènent nulle part, 1950, trad. par W. Brokmeier, Paris, Gallimard, 1962, p. 219), le tracé d´une voie possible.
L´humanité doit à la raison toute une part, sinon la plus grande, du moins la plus certaine, de ce qu´elle sait de la réalité : celle qui correspond aux connaissances scientifiques. Le savoir scientifique, quand il prend la forme d´un ensemble structuré de lois (une théorie) non invalidé par l´expérience, constitue ce qu´il y a de plus assuré dans ce que nous savons, et pourtant ce qui nous était le moins immédiatement donné par le simple constat des sens, ou par cette autre forme de sens qu´est le « bon sens ».
De quelle articulation entre théorie et expérience procède la construction de ce savoir scientifique ? Répondre à cette question est la tâche propre de cette partie de la philosophie de la connaissance qu´on appelle l´épistémologie : du moins apercevons-nous déjà que, dans ces relations entre théorie et expérience, se dessine une figure de la raison dont, en vertu même de