LUCRECE BORGIA
(article paru dans la revue Romantisme, SEDES, n°102, Sur les scènes du XXe siècle, 1998)
Il aura fallu au théâtre de Hugo plus d'un demi-siècle pour sortir de l'oubli : devenu théâtre officiel aux débuts de la IIIe République, quand les audaces romantiques ont cessé de choquer, il passe, notamment aux yeux de Zola, pour parfaitement dépassé, tant dans sa facture que dans ses enjeux ; les commémorations l'enlisent alors dans un style lourdement décorativiste et ampoulé. Quand naît la mise en scène, ni les symbolistes, ni les naturalistes ne s'intéressent à lui, et il se trouve alors, pour des décennies, rejeté au rayon des curiosités. Pendant ce temps, c'est le théâtre de Musset qui est redécouvert, avec toutes les potentialités que sa dramaturgie de l'éclatement spatio-temporel, permise par le renoncement à la scène de son époque, offre à l'esthétique de l'espace vide telle qu'elle se développe au XXe siècle. C'est Jean Vilar, grand interprète du théâtre romantique français et allemand, qui a sorti le théâtre de
Hugo de sa réputation d'être injouable, avec ses mises en scènes de Ruy Blas (1954) et
Marie Tudor (1955)1, où le plateau quasi nu d'Avignon ou du T.N.P., l'enthousiasme de la troupe et la force contenue de Gérard Philipe et Maria Casarès rendent au théâtre de
Hugo sa jeunesse, sa fougue, et sa dimension historique. On peut tracer une filiation entre l'idéal hugolien d'un théâtre national de qualité pour le peuple et l'ambition de
Vilar puis Vitez d'un théâtre qui réussisse à être "élitaire pour tous". Plus de vingt ans après son aîné, Vitez devient à son tour l'un des principaux metteurs en scène de Hugo au XXe siècle, avec Les Burgraves (1977), puis Hernani et Lucrèce Borgia (1985).
1 Pour une histoire plus complète de la mise en scène contemporaine du théâtre de Hugo, je me permets de renvoyer à ma thèse, La mise en scène contemporaine du théâtre de Victor Hugo, sous la direction de Anne