Parole de poilu
Ma bien chérie
J'ai reçu ton télégramme. Que je suis content et inquiet ! Comment vas-tu, chérie, comment va notre fillette ? As-tu bien souffert ? As-tu pu avoir un médecin ? Avais-tu trouvé une nourrice ? Le télégramme est bien bref...
Que j’attends des détails … Je crains tant de choses. L'état d'esprit dans lequel tu vis depuis quatre mois et demi a pu avoir une influence malheureuse. Le soucis peut lui nuire. Reste courageuse, ma chérie. Pense à notre fillette.
Comment l'appelles tu ? Fais-moi vite savoir son nom. Qu'il me tarde de la voir, que je suis impatient de revenir. Mais mon retour est encore bien loin, plusieurs mois certainement...
Cause moi longuement d'elle dès que tu pourras le faire. Dis-moi tout. J'espère la voir. Je veux la voir. Que je regrette qu'elle ne soit pas née un an plus tôt ! Fais-moi envoyer beaucoup de papier à lettres pour que je puisse t'écrire longuement.
Toutes les fois que la chose ne sera pas possible, embrasse-la pour moi. Je ne dormirai sans doute pas de cette nuit. Mais soit tranquille, je ne serais pas malheureux, pourtant je suis inquiet : s'il y avait des complications, il ne t'est pas commode d'avoir un médecin et il n'y a guère de pharmaciens.
Ce soir j'ai reçu deux lettres de toi , une carte, une lettre d'Yvonne et une carte de Jean. J'ai tout brouillé et ne m'y reconnais plus. Il me sera une distraction de les relire demain ; elles me sembleront comme fraîches.
Dis-moi que notre enfant vivra, il me tarde de savoir. C'est si frêle, ces pauvres petits. Il faut si peu. J'espère. De quelle couleur sont ses yeux ? Comment sont ses menottes ? Sera-t-elle jolie? Que je voudrais qu'elle te ressemble. Hélas, je ne pourrais la voir toute petite. Je l'aime, vois-tu, je l'aime autant que je t'aime. Dis-moi, fais moi dire beaucoup de choses d'elle. Pleure-t-elle beaucoup ? Toi, tu souffres, chérie? As-tu pu rédiger le télégramme toi-même ; non, sans doute on l'a signé de toi pour me