Peut-on rester libre et se sentir obligé ?
En latin, obligatio désigne une modalité précise de la parole : la parole qui noue un lien, autrement dit la parole que l'on donne à autrui et qu'on ne peut reprendre sans le consentement de l'autre, c'est-à-dire la promesse. C'est cette étymologie qui explique le sens de l'expression selon laquelle on est l'obligé de quelqu'un : quand un homme me rend service, je suis en dette à son égard, je lui dois quelque chose en échange (par exemple, mon aide lorsqu'à son tour il sera dans le besoin). Tant que je ne me suis pas acquitté de cette dette, je demeure son obligé : je lui suis redevable, désormais quelque chose lui est dû. L'obligation est donc un lien qui astreint (si tant est que astringi veut dire « nouer un nœud » en latin), c'est-à-dire qui entrave, qui empêche la liberté de mouvement, d'où le sens moderne que nous donnons à ce terme : obliger, c'est contraindre, mettre quelqu'un dans la nécessité de faire quelque chose. Comment alors pourrait-on tout à la fois rester libre et se sentir obligé ? Car enfin, la liberté ne se conçoit-elle pas d'abord comme absence de contraintes ou d'entraves ? En ce sens, demeurer libre, ce serait d'abord n'être l'obligé de personne, c'est-à-dire s'être libéré de tout engagement et de toute promesse, voire ne pas se sentir obligé par ses promesses passées. Mais ne pas tenir parole, est-ce là le sens de la liberté véritable ? Davantage même : n'avons-nous pas ici trop rapidement replié l'obligation sur la contrainte ? On peut bien me contraindre par force ; est-ce pour autant qu'on m'aura obligé ? En d'autres termes, la contrainte peut bien exiger de moi la soumission, c'est-à-dire l'abandon de ma liberté. Mais si je m'oblige moi-même à tenir parole, si je m'oblige aussi à respecter un commandement que je sais être légitime, aurai-je de ce fait renoncé à ma liberté ?
I. L'absence d'obligations comme illusion de la liberté
L'homme, disait Nietzsche, est un « animal dressé à promettre ». Mais que veut dire