La trahison est un phénomène peu traité par les sciences humaines et sociales. Peu d'ouvrages, d'articles ou de colloques sont en effet consacrés à cette question. Ceci est d'autant plus étonnant que la trahison est un phénomène courant, ou en tous cas, moins exceptionnel qu'on ne le croit généralement: il nous est tous arrivé d'être trahi ou de trahir à notre tour. De révéler un secret, d'être infidèle, d'être pris dans des loyautés conflictuelles ou de faire défection. De même, les figures de l'escroc, de la balance, du déserteur, du "collabo" ou de la "girouette" imprègnent notre histoire collective. Sans parler de ces personnages dont le nom est désormais à jamais associé dans notre mémoire à leur trahison réelle (de Judas à Philby) ou supposée (Dreyfus). L'étiquette de "traître !" semble d'ailleurs inhérente au jeu des passions politiques. Autre indication révélatrice de la prégnance de la trahison: le fait qu'elle soit aussi présente dans l'imaginaire social. Peu de contes et de mythes, de religions et de "grands récits" dont elle ne soit absente. Quant à l'univers fictionnel, il est lui aussi saturé de références à ce thème, certaines œuvres étant parfois exclusivement articulées autour d'une trahison. C'est un des paradoxes de ce phénomène d'être à la fois présent à toutes les échelles du social (de la vie quotidienne à l'imaginaire), d'investir ainsi potentiellement toute forme de lien (de l'amitié aux relations internationales) et d'être en même temps relativement absent des discours savants.
Ceci est d'autant plus étonnant que la trahison met en jeu des questions essentielles. La trahison nous permet par exemple d'interroger les rapports entre les individus et les ensembles dont ils sont membres, en questionnant ce qu'il en est de l'appartenance et du lien. En effet, la rupture qu'implique toute trahison suppose toujours la préexistence d'un lien. Pour cette raison, la trahison hante de nombreuses relations, même en tant que possibilité ou fantasme.