Qu’est-ce qu’un démocrate ?
Contrairement à ce que pourrait laisser penser la relative popularité dont jouissent les éthiques de la discussion, philosophies du pluralisme, etc, l’espace public se divise plutôt entre : ceux qui jugent possible et utile de parler aux leurs, en faisant mine de parler aux autres ; ceux qui, n’étant d’accord avec personne, ne parviennent à s’adresser ni aux uns ni aux autres ; ceux qui ne se sentent pas le courage d’avoir encore une fois cette discussion, en tout cas pas ce soir ; ceux qui considèrent que la fonction de la parole n’est pas de manifester accords et désaccords (à des titres divers, Deleuze, Guyotat et la personne qui vous appelle pour vous vendre une cuisine aménagée) ; ceux qui, n’ayant aucun avis, ne voient pas où est le problème.
Albert O. Hirschmann est un démocrate : il a un avis et il croit au dialogue. C’est très curieux.
À ce titre, Deux siècles de rhétorique réactionnaire est une synthèse rare, où la nécessité de parler n’est pas défendue malgré l’intensité de l’engagement, mais passe par elle ; où la destruction en règle des arguments néo-libéraux de l’ère Reagan est en même temps l’occasion de mettre à nu, aux fins de la désamorcer, une forme d’intransigeance vide également à l’œuvre dans tous les camps. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que tous les camps se valent : mais que tous devraient cesser d’utiliser « certains arguments qui ne sont en fait qu’autant d’engins spécialement conçus pour interdire tout dialogue ». Posture compliquée, puisqu’elle n’établit pas la différence entre conservateurs et progressistes sans appeler ces derniers à différer d’eux-mêmes : ce n’est pas comme cela,