Jamais le célèbre bandeau rouge qui ceint la collection blanche de Gallimard n'aura été à ce point primordial. Pendant la lecture du Tombeau de Tommy, il faut poser devant soi cette couronne mortuaire de papier. Et scruter le portrait photographique qui l'orne, cliché noir et blanc d'une insaisissable beauté : un jeune homme poupin aux cheveux crépus comme dressés par une force céleste, le regard flottant et invincible, la bouche ourlée d'inquiétude. Il s'agit de Thomas Elek, dit Tommy, Juif hongrois qui participa aux opérations les plus périlleuses et les plus sanglantes contre le nazisme, et qui finit fusillé au mont Valérien, en février 1944, comme d'autres de ses frères d'armes de l'Affiche rouge. Cette photo rimbaldienne figure parmi les documents qu'un cinéaste donne à Gabriel, lycéen croisé par hasard sur son skate, dans les rues voisines du Trocadéro. Choisi pour interpréter Thomas Elek à l'écran, l'adolescent frappe l'équipe de tournage par « sa grâce particulière de danseur qui effleurait toujours ses ombres, l'intensité de son regard qui cherchait la lumière », tel le Tadzio de Mort à Venise, de Luchino Visconti.
Ecrit dans une langue humble et pudique, le roman d'Alain Blottière trace un triangle parfaitement équilatéral entre trois pics acérés, trois thèmes d'une égale densité. La symbiose du jeune acteur avec son personnage, cette identification dévorante qui sert de tremplin pour grandir et scelle la mémoire à jamais. La description minutieuse de scènes du film, reconstitutions dépouillées de moments clés de la vie de Tommy. Et le récit fouillé du véritable destin de Thomas Elek, depuis son enfance d'émigré hongrois, parce que sa mère « voulait qu'il ait une culture française. Rien d'autre. Communiste, mais avec quelque chose d'aristocratique, de snob, d'orgueilleux, le sentiment d'une supériorité ». Ni biographie, ni broderie, Le Tombeau de Tommy est un livre inspiré, au sens pulmonaire du terme. Passé au tamis du temps qui passe, filtré pour