Barthes, del'oeuvre au texte (le bruissement de la langue)
Le bruissement de la langue . 1984, pages.69 à 77
Cet article poursuit la définition du texte, notion liée à la modernité: le marxisme, le freudisme et le structuralisme ont en effet produit l'existence d'un objet nouveau, le Texte, dont Barthes propose ici la théorie.
Il procède par une série de qualifications qui définissent le Texte par opposition à l'oeuvre:
- l'oeuvre est substantielle et son existence est phénoménale: c'est le livre qu'on a dans la main, qui occupe un espace dans une bibliothèque; le Texte est un champ méthodologique dont l'existence repose dans le seul langage. L'oeuvre relève de la réalité (de ce qui se montre), le Texte du réel (de ce qui se démontre).
- le Texte se caractérise par sa force de subversion, se portant à la limite des règles de l'énonciation (rationalité, lisibilité, etc.). Si l'oeuvre se ramène à la doxa, le Texte est paradoxal.
- l'oeuvre se ferme sur un signifié, impliquant donc une philologie (signifié apparent) et une herméneutique (signifié caché). Le champ du Texte, au contraire, est celui du signifiant, qui engendre le symbolique dans l'après-coup, comme jeu et dans son jeu (dans ses lacunes), sur le mode métonymique d'associations en réseau.
- la nature du Texte est donc intégralement symbolique, fonctionnant, comme le langage, de manière décentrée et sans clôture. Tout Texte est pluriel et introduit à une dissémination du sens. Le lecteur, désoeuvré, perçoit dès lors la pluralité stéréographique des signifiants dans une promenade sans objet. Car le propre du texte est la traversée.
- l'oeuvre relève de la filiation à un auteur, au monde: elle se place sous l'ordre du Père. Le Texte, lui, est sans origine: citation sans guillemets, il se lit sans l'inscription du Père.
- l'oeuvre est organique. Le Texte peut être cassé.
- l'oeuvre fait l'objet d'une consommation. Le Texte est fréquemment illisible.
- le Texte recueille l'oeuvre comme pratique,