Le jour étouffant des noces, dans l’étroite église de Saint-Clair où le caquetage des dames couvrait l’harmonium à bout de souffle et où leurs odeurs triomphaient de l’encens, ce fut ce jour-là que Thérèse se sentit perdue. Elle était entrée somnambule dans la cage et, au fracas de la lourde porte refermée, soudain la misérable enfant se réveillait. Rien de changé, mais elle avait le sentiment de ne plus pouvoir désormais se perdre seule. Au plus épais d’une famille, elle allait couver, pareille à un feu sournois qui rampe sous la brande, embrase un pin, puis l’autre, puis de proche en proche crée une forêt de torches. Aucun visage sur qui reposer ses yeux, dans cette foule, hors celui d’Anne ; mais la joie enfantine de la jeune fille l’isolait de Thérèse : sa joie ! Comme si elle eût ignoré qu’elles allaient être séparées le soir même, et non seulement dans l’espace ; à cause aussi de ce que Thérèse était au moment de souffrir de ce que son corps innocent allait subir d’irrémédiable. Anne demeurait sur la rive où attendent les êtres intacts ; Thérèse allait se confondre avec le troupeau de celles qui ont servi. Elle se rappelle qu’à la sacristie, comme elle se penchait pour baiser ce petit visage hilare levé vers le sien, elle perçut soudain ce néant autour de quoi elle avait créé un univers de douleurs vagues et de vagues joies ; elle découvrit, l’espace de quelques secondes, une disproportion infinie entre ces forces obscures de son coeur et la gentille figure barbouillée de poudre.
Longtemps après ce jour, à Saint-Clair et à B., les gens ne s’entretinrent jamais de ces noces de Gamache1 (où plus de cent métayers et domestiques avaient mangé et bu sous les chênes) sans rappeler que l’épouse, « qui sans doute n’est pas régulièrement jolie mais qui est le charme même », parut à tous, ce jour-là, laide et même affreuse : « Elle ne se ressemblait pas, c’était une autre personne… » Les gens virent seulement qu’elle était différente de son apparence habituelle ;