Français 2006
Voici que le jour apporte ses gerbes. Le monde est neuf à chaque fois. Tremble la vitre comme un tympan, frémit un cœur et frissonne l'abeille. Le monde se prépare à la joie. Court la route avec aux trousses le soleil, lève son jupon, tombe dans la haie, devient talus et s'émerveille. A midi, le ciel est une assiette avec un œil au milieu. Avec le soir, les ombres sont fumées qui rougeoient. La charrette de paille brinqueballe. La nuit ferme sa porte.
Ainsi je suis riche des journées amassées. Belles granges pleines d'or. Vois, mes yeux débordent de foin, de trèfle sec, d'horizons bousculés. Une raie sous la porte dit que je suis habité. On est heureux. Il y fait chaud. On y partage le pain, la vie, la mort.
Jean MALRIEU, Le nom secret (1968)
TEXTE 2
Regardez les gens courir affairés, dans les rues. Ils ne regardent ni à droite, ni à gauche, l'air préoccupé, les yeux fixés à terre, comme des chiens. Ils foncent tout droit, mais toujours sans regarder devant eux, car ils font le trajet, connu à l'avance, machinalement. Dans toutes les grandes villes du monde c'est pareil. L'homme moderne, universel, c'est l'homme pressé, il n'a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité, il ne comprend pas qu'une chose puisse ne pas être utile ; il ne comprend pas non plus que, dans le fond, c'est l'utile qui peut être un poids inutile, accablant. Si on ne comprend pas l'utilité de l'inutile, l'inutilité de l'utile, on ne comprend pas l'art ; et un pays où on ne comprend pas l'art est un pays d'esclaves ou de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne rient pas ni ne sourient, un pays sans esprit ; où il n'y a pas