La collégialité des juridictions
MARIE-ANNE COHENDET
« Le magistrat unique (…) ne peut avoir lieu que dans un Gouvernement despotique ». (Montesquieu, « De l’esprit des lois », Livre VI, chapitre VII).
Pas à pas, petit à petit, par touches successives, lentement mais sûrement, discrètement voire subrepticement, le principe de collégialité des juridictions se fait grignoter, écorner, rédimer… au point que son existence même est aujourd’hui menacée. Chaque réforme ne semble enlever qu’une petite pierre à l’édifice. Dès lors, il ne semble guère utile de s’indigner de la disparition de tel pan de l’édifice puisque tant d’autres ont déjà été progressivement démolis. Les premiers coups de boutoir provoquent quelques réactions. En 1975, l’extension du juge unique pour certaines juridictions judiciaires avait suscité les foudres du Conseil constitutionnel et des levers de boucliers dans la doctrine1. Mais, tout doucement, on s’habitue, on se résigne, on se soumet. En 1995, lors d’une extension du juge unique dans les juridictions judiciaires et de son arrivée en force dans les juridictions administratives (où l’on parle pudiquement de « juge statuant seul »)2, le silence est presque assourdissant. Les contraintes budgétaires sont là, on doit nécessairement les reconnaître. Il faut bien faire face à l’accroissement majeur des flux contentieux. De bonnes économies valent bien la peine de sacrifier quelques vieux principes.
Marie-Anne Cohendet, professeur de droit public à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne. 1. Cf. Thierry Renoux, cette Revue, n° 22, p. 407, octobre 1995. 2. Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, v. D. Chabanol, Commentaire à l’AJDA, 1995, chron. p. 388. Revue française de Droit constitutionnel, 68, 2006
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Marie-Anne Cohendet
Le principe de collégialité, c’est-à-dire de la prise de décision à l’issue d’une