Concrètement, c’est pour deux raisons assez différentes que je m’intéresse aux activités de l’esprit. Tout a commencé quand j’ai assisté au procès Eichmann à Jérusalem. Dans mon rapport, je parle de la « banalité du mal ». Cette expression ne recouvre ni thèse, ni doctrine, bien que j’aie confusément senti qu’elle prenait à rebours la pensée traditionnelle - littéraire, théologique, philosophique - sur le phénomène du mal. Le mal, on l’apprend aux enfants, relève du démon il s’incarne en Satan qui_ « tombe du ciel comme un éclair » (saint Luc, 10, 18), ou Lucifer, l’ange déchu (« Le diable lui aussi est un ange » - Miguel de Unamuno) dont le péché est l’orgueil (« orgueilleux comme Lucifer »), cette superbia dont seuls les meilleurs sont capables : ils ne veulent pas servir Dieu, ils veulent être comme Lui. Les méchants, à ce qu’on dit, sont mus par l’envie ; ce peut être la rancune de ne pas avoir réussi sans qu’il y aille de leur faute (Richard lll), ou l’envie de Caïn qui tua Abel parce que « Yahvé porta ses regards sur Abel et vers son offrande, mais vers Caïn et vers son oblation il ne les porta pas ». Ils peuvent aussi être guidés par la faiblesse (Macbeth). Ou, au contraire, par la haine puissante que la méchanceté ressent devant la pure bonté (Iago[1] : «Je hais le More, Mes griefs m’emplissent le cœur » ; la haine de Claggart pour l’innocence « barbare » de Billy Budd[2], haine que Melville considère comme « une dépravation de la nature ») ou encore par la convoitise, « source de tous les maux » (Radix omnium malorum cupiditas}. Cependant, ce que j’avais sous les yeux, bien que totalement différent, était un fait indéniable. Ce qui me frappait chez le coupable, c’était un manque de profondeur évident, et tel qu’on ne pouvait faire remonter le mal incontestable qui organisait ses actes jusqu’au niveau plus profond des racines ou des motifs. Les actes étaient monstrueux, mais le responsable — tout au moins le responsable