Le nihilisme et la vacuité
On peut aller chercher très loin, dans l'histoire et dans la légende, les précurseurs du nihilisme : citer, par exemple, Prométhée, Caïn, rappeler les doctrines d'Épicure et de Lucrèce, la gnose ; plus près de nous, évoquer Sade ou le Méphistophélès de Goethe, dégager le rôle du dandysme et du romantisme. Le mot lui-même se rencontre chez F. H. Jacobi et chez Jean-Paul, qui l'utilise pour caractériser la poésie romantique. Mais il importe surtout de voir que l'esprit de rébellion, l'immoralisme, la justification du meurtre et le défi lancé au monde ne prennent une tonalité nihiliste qu'à partir de la fin du xviiie siècle ; c'est dire que le nihilisme, dans son principe, est un phénomène moderne, un phénomène que Paul Bourget, dans ses Essais de psychologie contemporaine, décrivait déjà, en 1885, comme « une mortelle fatigue de vivre, une morne perception de la vanité de tout effort ».
• Révolte et nihilisme
En fait, le nihilisme commence à prendre conscience de soi lorsque D. I. Pissarev déclare la guerre aux institutions et à la culture existantes et lorsque V. G. Biélinski a l'audace d'écrire : « La négation est mon dieu. » Il en découle le refus de toute autorité qui n'émane pas du jugement individuel. Sous l'influence de Max Stirner, le pressentiment de la catastrophe incita les esprits les plus lucides à chercher refuge dans l'exaltation du moi. Mais derrière ce narcissisme hautain et vindicatif se profile l'ombre de l'absurdité universelle. Tourgueniev, dans Père et fils (1860), imagine le personnage de Bazarov, qui laisse s'épancher une amertume proprement schopenhauerienne : « Nous n'avons à nous glorifier que de la stérile conscience de comprendre, jusqu'à un certain point, la stérilité de ce qui est. » On ne supporte plus le réel, parce que le réel est maintenant privé de justification. La contradiction s'accuse entre l'attente humaine et l'inhumanité du monde. Tout dépend alors de l'attitude que l'on adopte