Le roman : vision de l'homme et du monde
Il suffit d’écouter Jules Laforgue dans ses Premiers Poèmes, qui se confesse: «Je tords mon cœur pour qu’il s’égoutte en rimes d’or…»
C’est ce qui fait dire à Alfred de Musset, dans sa Nuit de mai:
«Les plus désespérés sont les chants les plus beaux
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.»
On peut s’interroger sur ce qui a amené Musset à consacrer la souf- france comme source poétique privilégiée et à assigner au poète la tâche de «purifier» ses «sanglots» de façon à atteindre la plus grande pureté poétique possible. Si ce point de vue peut paraître aujourd’hui un peu passé de mode parce que très ancré dans son contexte romantique, il n’en est pas moins révélateur de la singularité du fait poétique. Cepen- dant, sa formulation, très catégorique, appelle quelques nuances.
[1. Le point de vue romantique: la poétique de la souffrance]
La théorie de la souffrance que soutient Musset est fortement inspirée par le contexte littéraire et culturel dans lequel il écrit, mais aussi par la sensibilité morale et religieuse romantique. Elle dérive enfin directement de sa conception de la création esthétique.
[1.1. Le contexte culturel romantique]
Le XVIII e siècle avait laissé peu de place à la poésie qu’il considérait comme un genre encombré de contraintes ennemies de la clarté et de la raison. Tout au plus ce siècle a-t-il donné naissance à une poésie lyrique néo-classique très formelle, artificielle, rhétorique et plaquée, entravée par le rationalisme philosophique. C’est contre cette poésie et ce contexte culturel que réagissent les