Le sens du titre de l’ouvrage de Primo Lévi, Si c’est un homme, est à rapprocher du poème liminaire placé en exergue ; cette expression, qui peut sembler énigmatique au premier abord, s’en trouve éclairée, et représentative du thème général, celui de la démolition d’un homme. Le titre de l’ouvrage est également celui du poème, lui-même tiré d’un vers : « Considérez si c’est un homme … » Dans cette expression, la conjonction de subordination si introduit une subordonnée interrogative indirecte de valeur rhétorique : le poème terminé, le lecteur ne pourra répondre que par la négative, car le Lager, tel que l’évoquent les lignes suivantes, est la négation d’une vie d’homme. Le sens est encore plus net dans le texte original. En effet, le démonstratif « questo », en italien, signifie « ceci », « cela », et par cette distanciation renforce le caractère négatif de cet état, l’antithèse de ce qu’est, pour Lévi, un homme. L’ouvrage sera donc la démonstration de ce que le poème avait suggéré. La démolition d’un homme est tout d’abord matérielle et mentale. Dès le second chapitre, Lévi fait état de l’extrême dénuement dans lequel se trouvent les prisonniers du Lager dès leur arrivée. Privés de leurs vêtements, de leurs objets personnels, ils se trouvent à la fois désocialisés et fondus dans la masse anonyme d’une « armée de larves ». Perte de l’identité, des signes de reconnaissance de l’individualité, de leur passé comme de leur avenir. Seul devient important le présent de la survie, comme dans le chapitre 7 (« Une bonne journée ») dans laquelle la seule satisfaction des détenus consiste à goûter béatement le soleil printanier, à profiter d’une soupe supplémentaire, de manière instinctive et animale. Toute trace de vie affective, de vie mentale et de pensée semble avoir disparue, à l’image de Null Achtzen, détenu promis à la mort et à l’anéantissement, comme le début de son numéro l’indique. Mais il y a sans doute, plus gravement encore, dans cette perte