La première erreur des moralistes est de faire de l'homme dans la nature imperium in imperio, un empire dans un empire, un pouvoir échappant à l'ordre commun. Ils ne conçoivent pas ce qu'est l'homme dans la nature. Ils le tiennent pour une enclave, où ne s'appliqueraient pas les lois universelles. Autrement dit ils n'ont aucune idée ni de la nature, ni de l'homme. De la nature ils ne comprennent pas qu'elle est l'être même, éternel, infini, existant selon ses propres lois (cf. Ethique I, propositions XVI-XX). De l'homme ils ne comprennent pas qu'il est une chose singulière de la nature, à laquelle s'appliquent les mêmes lois qu'aux autres. Admettre cela exige de rompre avec une représentation subjective, naïve, anthropocentriste, telle qu'elle se trouve exprimée dans les mythes, comme celui d'Adam (Genèse) ou celui des sœurs Wawilak (cf. Lévi-Strauss,la Pensée sauvage, pp. 120 et suivantes). Il ne faut d'ailleurs pas inverser les rapports entre les choses : ce n'est pas parce qu'un texte tenu pour sacré fait de l'homme un être à part, central et supérieur que la mentalité commune le tient pour tel ; c'est au contraire parce que la mentalité commune se fait spontanément cette représentation sans nul besoin d'aucun texte sacré, que les esprits étroits et bornés, résistant à l'émergence d'une autre représentation, en font un texte sacré. Or ce mythe, qui n'était déjà pas très éclairé dans l'Antiquité classique, devient absolument intenable avec la représentation galiléenne de l'univers. Ce n'est d'ailleurs pas tant avec l'héliocentrisme qu'il entre en conflit. Certes faire du sol qui a l'honneur d'être foulé des pieds de l'homme un satellite périphérique c'est exiler celui-ci, c'est ostraciser la crème de la " création ". Assurément cela l'humilie. Mais ce n'est pas encore comprendre qu'il n'échappe pas à la règle commune des choses singulières dans lesquelles s'exprime universellement la puissance de la nature. Sur ce point Spinoza reprend volontiers le vocabulaire