Philosophie
Michael Lackner1
Il existe en Chine une plaisanterie déjà un peu usée selon laquelle un vieil ouvrier agricole, fatigué des éternelles campagnes politiques et des discussions, s'exclame : « J'entends toujours parler du cheval qui peut penser. Le cheval qui peut penser, à quoi ça sert ? Le cheval peut penser, le bœuf peut penser aussi. Où est la différence ? » Notre bonhomme est victime de sa langue maternelle : le nom de famille de Karl Marx est
1 Michael Lackner est Professeur suppléant de Langue et civilisation chinoises à l'Université de Genève (Faculté des Lettres, Département de Langues et littératures méditerranéennes, slaves et orientales, CH-1211, Genève 4). Le présent article est en partie basé sur quelques hypothèses développées dans « War Zhu Xi ein Hegel avant la lettre ? », Internationales Asienforum, 1990, 3 4 , p. 39-53. Il n'aurait pu être écrit sans l'appui de plusieurs collègues que je tiens à remercier. Viviane Alleton m'a permis d'en présenter les principales hypothèses lors d'une conférence dans le cadre du Centre d'Études Comparatives du Monde Chinois/EHESS. Françoise Aubin s'est chargée avec beaucoup de soin de la transposition de la forme essentiellement orale de ce texte dans sa forme écrite. Ce faisant, elle a aussi clarifié des idées insuffisamment élaborées auparavant. Qu'elle en soit particulièrement remerciée. C'est grâce à Etienne François et Jean-François Billeter que je ne me suis pas perdu dans les confusions d'un transfert linguistique à triple sens (chinois -allemand-français).
Études chinoises, vol. XII, n° 2, automne 1993
Michael Lackner rendu en chinois par « Makesi », ce qui peut se traduire, si l'on veut, par « le cheval peut penser »2. Dans cet article, je voudrais faire état de certains problèmes posés par la traduction de termes philosophiques en Chine, un sujet qui me semble assez négligé dans les travaux sur l'histoire