A corps perdu Corps et gender studies
Introduction
Elsa DORLIN, Hélène ROUCH et Dominique FOUGEYROLLAS-SCHWEBEL ont coordonné en 2005 un ouvrage collectif intitulé « Le corps entre sexe et genre ». Cette formule pourrait servir de problématique générale à l’intervention que nous avons préparée ensemble. Entre l’essentialisation du « tout est nature » et le constructivisme radical pour lequel « tout est culture », entre le marteau du sexe et l’enclume du genre, entre ces deux assignations théoriques, comment (re)penser le corps ? Comment, depuis sa naissance dans les années 50 et son appropriation par la pensée féministe, le concept de « genre » a-t-il été articulé à celui du corps ? Qu’est-ce que le genre fait au corps ? Permet-il de le resituer, de le recontextualiser et de le repenser ? Risque-t-il, dans le sillage des théories postmodernes et du « linguistic turn », de le déréaliser, de le dématérialiser et finalement de le nier, de l’occulter ? Comment éviter la fuite en avant vers l’abstraction sans pour autant renier les acquis essentiels du « genre », plus que jamais « catégorie utile d’analyse » (pour reprendre les mots de Joan SCOTT) à l’heure des débats violents sur la question du mariage et de l’adoption des couples homosexuels ? En d’autres termes, la pensée du genre peut-elle encore être une pensée du corps ?
Ce sont ces questions que nous allons tenter d’aborder ce matin en proposant trois grands moments :
Un premier moment consacré à l’histoire de l’émergence et de l’utilisation de la catégorie du genre dans la pensée et la lutte féministes : « Mon corps est un autre ? La longue marche du concept de genre dans la théorie féministe »
Un deuxième temps centré plus particulièrement sur l’apport de Judith BUTLER, son constructivisme radical selon lequel le sexe/corps est déjà du genre. Nous nous lancerons alors, peut-être à corps perdu, dans une lecture de