Le romancier et ses personnages
I. Le personnage de roman
a) l’invention du personnage par le romancier
La création d’un personnage romanesque est souvent associée à un très fort effet de réel. C’est comme si on donnait vie à une personne. Le personnage est alors conçu comme la transposition d’une expérience ou d’une personne réelles. L’invention s’inspire de la réalité tout en la modifiant par des procédés de grossissement, d’atténuation, d’hybridation. Le personnage de roman est donc le produit d’un croisement entre différentes caractéristiques d’individus distincts et le romancier s’y trouve lui-même mêlé. Ainsi, dans la préface de son roman Aurélien (1945), Aragon reconnaît que son personnage n’est ni Drieu La Rochelle ni lui-même, mais qu’il a pu chercher « dans l’un et l’autre une sorte de vérification du personnage crée ». Mauriac affirmait pour sa part que seuls ses personnages secondaires pouvaient avoir été empruntés à la vie et formulait la règle selon laquelle moins un personnage a d’importance dans le récit, « plus il a de chances d’avoir été pris tel quel dans la réalité ». Pour les autres, s’il a toujours situé ses personnages dans son milieu d’origine (la province bordelaise, bourgeoise et catholique), il a profondément modifié son atmosphère, déchaînant « en imagination les plus terribles drames au fond de ces honnêtes maisons provinciales ». Se pose alors la question de la limite entre l’inspiration d’ordre autobiographique, celle qui provient d’une observation du réel et celle qui est purement imaginative. Le roman est une reconstruction du réel par l’imagination dans des proportions variables. Il agit comme une loupe qui amplifie les tentations et les passions, jusqu’à les rendre monstrueuses. Le critique littéraire Albert Thibaudet (1874-1936) pense qu’il y a une part de vérité plus grande dans le roman que dans l’autobiographie car il permet de dire l’expérience personnelle à travers le prisme de personnages inventés, au plus