Le travail n'est-il que servitude?
1) Mise en situation
«Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front !». Ainsi, dans la Genèse, Dieu annonce t’il à Adam sa nouvelle destinée hors du paradis. Le paradis : terre d’abondance où, dans l’innocence, tous les besoins sont comblés avant même de pouvoir s’exprimer. Le paradis : image de la parfaite cohérence, de l’adéquation totale du désir et du monde. Parce qu’il a goûté à l’arbre de la connaissance qui le sépare à jamais de l’animalité, de cette heureuse adéquation de soi à la nature – parce que maintenant l’homme se connaît, qu’il n’est plus un avec la nature et sa propre nature - parce que l’homme a perdu l’innocence de l’animal, Dieu le punit. Et cette punition, qui scelle la naissance mythique de l’humain, s’exprime par la condamnation de l’homme au travail : contrairement à l’animal qui jouit immédiatement des fruits de la nature, toi, homme, «tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ! ». Ainsi le travail apparaît-il comme une malédiction inhérente à la nature de l’homme. Nous, hommes, serions, en vertu de notre essence, condamnés au travail – à la dure nécessité de produire et de reproduire par nous-mêmes nos conditions d’existence. Aussi comprenons-nous la sourde plainte qui du fond des âges monte et espère en une fin des temps, temps de la séparation, temps de l’effort et de la souffrance, temps de la servitude, temps du travail.
Mais une telle sortie du règne de la nature, n’est-elle que chute et perte? Le travail qui fait la peine de l’homme ne fait-il pas aussi sa fierté? Ne s’enorgueillit-il pas de cette différence qui le distingue de toutes les créatures de la Terre, de ce caractère propre qui semble le condamner à une vie conquérante? « Nombreuses sont les merveilles, s’écrie ainsi Sophocle, mais de toutes, la plus grande merveille, c'est l'homme. À travers la mer blanchissante, poussé par le vent du sud, il s'avance et passe sous les vagues gonflées qui mugissent autour de lui. La divinité supérieure à toutes les