Liaisons dangereuses
1. Le libertin : les masques
L'étymologie de ce terme (il vient du latin libertinus qui signifie affranchi) est de nature à éclairer le sens qu'il convient de lui donner dans Les Liaisons dangereuses. "Grand seigneur méchant homme" aux dires du valet de Don Juan, son activité n'a en effet de sens que dans une société fortement sanglée dans des codes moraux : ceux de la représentation et de la bonne compagnie; ceux de la réputation et de l'honneur. A travers les personnages de Valmont et Merteuil, Laclos entend faire le portrait de deux libertins au sens où l'on entendait ce mot sous le règne de Louis XVI. A vrai dire, nos deux personnages sont plutôt des "roués", comme on disait à l'époque, c'est-à-dire deux hypocrites : aimable, d'une parfaite distinction de manières et de langage, le roué fait du mensonge un signe aristocratique qui est l'indice des âmes fortes. Il n'a donc pas grand chose à voir avec le "petit maître" de la Régence, jeune débauché courant de conquête en conquête, ni surtout avec le libertin au sens philosophique qui prône l'impiété et se fait l'adepte d'une morale épicurienne. Le vrai triomphe du libertin dépeint par Laclos est de s'assurer l'estime d'une société éprise de respectabilité tout en étant un parfait scélérat, délectation suprême d'un être rebelle à toute obédience - et d'abord celle des passions - , animé aussi d'un orgueil intransigeant qui, derrière le cynisme ou le machiavélisme, fait de lui un héros de la volonté.
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être protéiforme, le libertin peut endosser toutes les apparences que réclame une situation : ainsi Valmont qui, comme il s'est laissé aller à goûter sa charité simulée (lettre XXI), se prend à être "amoureux et timide" (lettre LVII) ou déguise dans ses lettres à Mme de Tourvel "le déraisonnement de l'amour" (lettre LXX); ainsi Mme de Merteuil, dont la duplicité sait jouer tous les rôles avec une jouissance cynique : elle trahit Cécile (lettre