« Ce que peut l’intellectuel, c’est pour lui-même et pour d’autres, faire l’expérience directe des choses qui comptent [même s’il] y a toujours des phantasmes qui viennent de l’éducation religieuse : indications vers ce que la religion appelle le salut, vers un état d’amour. » - Pierre Vadeboncoeur

Pour habiter l’espace inquiet du monde, la littérature contemporaine a accouché du Nouveau roman. Pour pouvoir le fuir et l’intégrer, le rejeter et s’y engager, l’essai québécois de la Révolution tranquille a accueilli les mots aventuriers d’un Pierre Vadeboncoeur. L’homme comme les mots allaient définitivement laisser leur trace. En traversant La ligne du risque, recueil de 1963 rassemblant cinq essais aussi esthétiques que politiques, c’est d’abord au fil de cette fissure qu’on voyage. Comme tout processus de création artistique, le texte est marqué d’un idéalisme binaire opposant spirituel et charnel, esprit et matière. Dès le premier texte se dessine une tension entre concret et abstrait, réel et insaisissable, entre bon sens et sens du sacré. Mais pour Vadeboncoeur, qui est déjà perçu comme innovateur à l’époque, comment réussit-on à outrepasser ce vieux conflit de manière inédite ? Nous proposerons l’hypothèse selon laquelle La ligne du risque porte cette scission idéologique de façon singulière : plutôt que d’opposer radicalement visible et invisible[1], l’essai les distingue pour mieux les réunir. Ainsi, Vadeboncoeur tire un trait d’union en offrant un nouveau sens au sacré, qu’on pourrait qualifier d’« incarné », de « route secrètement inscrite[2] » en soi-même. Pour étayer cette proposition, nous définirons d’abord le concept d’idéalisme en littérature pour mettre en place le paradoxe entre monde réel et conceptuel dans la notion elle-même. En ce qui a trait au corpus à l’étude, on se penchera essentiellement sur l’essai « La ligne du risque », d’où le recueil tire son nom, en s’intéressant notamment aux enjeux thématiques et aux