L'art fantastique
L'art contemporain, grâce au surréalisme surtout, a fait au fantastique une part considérable, et le transforme incessamment, proposant des figures d'une interprétation plus complexe et plus équivoque encore que les figures traditionnelles. Il existe donc, aujourd'hui dans tous les pays, un fantastique en train de se faire, très différent de ce que l'on pourrait appeler le fantastique « classiques ». Une constante attention et une inlassable vigilance doivent être exercées par celui qui sait que le fantastique n'est pas le domaine du passé, cadastré et inventorié une fois pour toutes. Il est, tout à la fois, le durable et le perpétuellement changeant, ce qui tient, le plus étroitement aux racines de la pensée humaine, et ce qui reflète le mieux l'évolution et les métamorphoses de cette pensée.
1.La forêt hantée
Un soldat marche, seul, à travers la forêt. Minuscule, parmi les troncs des sapins immenses, serrés et compacts. On distingue à peine un sentier étroit dans la neige. L'homme est épuisé de fatigue. Cavaliers (il porte de l'uniforme des chasseurs), il n'est pas habitué à cette longue et pénible progression à pied, dans un milieu hostile. Il s'est arrêté un instant, pour se reposer, et contemple avec désespoir la masse des arbres sombres, la densité lourde de la nuit qui vient. Il a peur, et cette épouvante qui monte en lui, qui va se condenser dans un cri horrible, c'est la vieille épouvante de l'homme en présence de la forêt ; l’épouvante des soldats romains, intrépides devant n'importe quelle peuplade féroce, que la vue seule de la silve germanique terrorisait, anéantissait. L'épouvante de tout homme, qu'il soit isolé ou en groupe, qui compare sa petitesse et sa faiblesse à la majesté impassible et redoutable des arbres. Lieux des terreurs sans nom, la forêt est l'endroit où tout devient possible, où la rencontre des êtres que la raison et la logique refusent, apparaît normale, où les jeux infiniment variés et infiniment dangereux