L'école de CHICAGO
Article écrit par Christian TOPALOV
Prise de vue
L'école de Chicago n'existe pas – ou plutôt elle n'existe que parce qu'on en parle. Si on la considère aujourd'hui comme un fait d'histoire, c'est que cette étiquette a été inventée après-coup par plusieurs générations successives de sociologues nord-américains qui avaient besoin du secours de leurs prédécesseurs dans leurs combats intellectuels du moment. Chaque fois, ladite « école » a reçu une nouvelle définition, en harmonie avec les nécessités du jour : c'est ce qui rend difficile d'exposer ce qu'elle fut « en réalité ».
Le cadre est à coup sûr l'université de Chicago, jeune institution qui ouvre ses portes en 1892 grâce à une dotation du magnat du pétrole John D. Rockefeller, dans la métropole du Middle West qui connaît alors une vertigineuse expansion. Cette ville fit d'ailleurs naître au moins trois autres « écoles de Chicago » : en architecture – avec notamment William Le Baron Jenney (1832-1907), constructeur de gratte-ciel à ossature d'acier, et le fonctionnaliste Louis H. Sullivan (1856-1924) –, en philosophie – avec John Dewey (1859-1952),
George H. Mead (1863-1931) et le courant pragmatiste –, plus tard en science économique – avec Milton
Friedman (né en 1912), chef de file du monétarisme, et une université pépinière de prix Nobel, marquée par l'enseignement d'économistes libéraux. Pour ce qui est des sociologues, ceux qui se trouvèrent plus tard inclus dans la plupart des définitions de l'École : Robert E. Park (1864-1944) et Ernest W. Burgess
(1886-1966), ne se considéraient pas comme formant une « école » avec leurs étudiants pourtant nombreux dans les années 1920, ni n'étaient considérés comme tels par leurs contemporains. Louis Wirth (1897-1952), un de leurs plus proches élèves, « était [vers la fin de sa vie] constamment ébahi de s'entendre dire qu'il faisait partie de l'école de sociologie de Chicago, car il ne pouvait pas imaginer ce qu'il avait de