Doc le pont mirabeau
2.1 Pont nouveau traité à l’ancienne
Le mélange rythmique observable à différentes échelles dans Zone se confirme spectaculairement, à l’échelle du recueil, quand, de ce texte d’allure globalement moderne, on passe au suivant. Le pont Mirabeau, exemple de technique moderne, sera-t-il traité en style ancien, ou moderne, ou mixte comme le vers qui annonçait d’emblée le troupeau de ponts de la bergère tour Eiffel ? Au premier coup d’œil, le poème paraît tout à fait métrique, et c’est en fait, parmi les quelques poèmes métriques d’Alcools, celui dont l’organisation métrique est la plus complexe. Malgré le fait que la moitié de ses strophes soit formatée en quatrains rythmés en 10.4.6.10, il peut être utile de les analyser telles qu’elles s’étaient d’abord présentées, en tercets 10.10.10.
Sa complexité métrique est liée à un style métrique de chant nettement marqué, qui convient peut-être mieux à un « monde ancien » et fictif de bergeries qu’à un univers d’automobiles, et en tout cas ramène brutalement au modèle précis, vieux de plus de six siècles, des paroles d’une chanson du XIIIe siècle ; même si ce choix surprenant, révélé plus tard par un érudit32, n’est pas censé être connu du lecteur, il tend à confirmer la connotation « ancienne » de cette métrique. La complexité du poème réside principalement dans sa forme globale ; alors que la périodicité métrique littéraire est ordinairement simple (mono-strophique), ici une suite de vers de longueur anatonique totale 10 (10‑voyelles), groupés en une suite de tercets (aaa), alterne avec une suite de 7‑voyelles groupés en une suite de distiques (aa) ; ces tercets et ces distiques, formatés par proximité verticale en stances,forment plausiblement, à un niveau supérieur, une suite périodique simple de paires tercet+distique33. Une telle organisation, très complexe pour une métrique littéraire, était presque banale dans le domaine du chant, où l’éventualité d’une alternance de voix rendait naturelle une