Doc tradition et modernité
Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !
J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu’au cœur de l’Eté et de Midi, je te découvre,
Terre promise, du haut d’un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un aigle.
Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du vent d’Est
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui grondes sous les doigts du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l’Aimée.
Femme nue, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l’athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau
Délices des jeux de l’esprit, les reflets de l’or rouge sur ta peau qui se moire
A l’ombre de ta chevelure, s’éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.
Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l’Eternel
Avant que le Destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.
COMMENTAIRE
« Femme noire » constitue le poème le plus célèbre de Senghor. Sa place située entre « Joal » et « Masque nègre » ne saurait être une coïncidence quand tous les recueils senghoriens obéissent à une structuration précise liée à l’orientation générale de l’oeuvre. Le verset final de « Joal », où « Apparaît un jazz orphelin qui sanglote sanglote sanglote », symbolise la Mort. Mais l’amour de la femme noire permet au poète de « nourrir les racines de la vie ».
Cette victoire de l’Amour face à la Mort débouche alors sur l’apaisement qu’évoque « Masque nègre » où « Elle dort et repose sur la candeur du sable ».
Quant à l’architecture du poème, il est bâti sous forme cyclique avec quatre strophes délimitées par des refrains