La peste
A la fin de la troisième partie, le narrateur Rieux décrit le comportement des habitants d'Oran ayant vécu une séparation, soit que l'un de leurs proches soit mort, soit qu'il soit resté à l'extérieur de la ville close.
|1 | Ils étaient à ce point abandonnés à la peste qu'il leur arrivait parfois de n'espérer plus qu'en son sommeil et de se surprendre à penser : |
| |« Les bubons, et qu'on en finisse ! » Mais ils dormaient déjà en vérité, et tout ce temps ne fut qu'un long sommeil. La ville était peuplée de |
| |dormeurs éveillés qui n'échappaient réellement à leur sort que ces rares fois où, dans la nuit, leur blessure apparemment fermée se rouvrait |
| |brusquement. Et réveillés en sursaut, ils en tâtaient alors, avec une sorte de distraction, les lèvres irritées, retrouvant en un éclair leur |
|5 |souffrance, soudain rajeunie, et, avec elle, le visage bouleversé de leur amour. Au matin, ils revenaient au fléau, c'est-à-dire à la routine. |
| |Mais de quoi, dira-t-on, ces séparés avaient-ils l'air? Eh bien, cela est simple, ils n'avaient l'air de rien. Ou, si on préfère, ils avaient |
| |l'air de tout le monde, un air tout à fait général. Ils partageaient la placidité et les agitations puériles de la cité. Ils perdaient les |
| |apparences du sens critique, tout en gagnant les apparences du sang-froid. On pouvait voir, par exemple, les plus intelligents d'entre eux faire |
| |mine de chercher comme tout le monde dans les journaux, ou bien dans les émissions radiophoniques, des raisons de croire à une fin rapide de la |
|10 |peste, et concevoir apparemment des espoirs chimériques, ou éprouver des craintes sans fondement, à la lecture de considérations qu'un |
| |journaliste avait écrites un peu au hasard, en