La société de cour
La thèse
En sociologue, Norbert Elias se propose de décrire les rouages de la société de cour, considérée comme un instrument de l'absolutisme. L'essentiel de son analyse porte sur le Versailles de Louis XIV, qui lui permet de démonter les pièces du mécanisme ordonnateur de cette formation sociale très particulière, peuplée de quelques milliers d'hommes et de femmes.
La structure du mécanisme de cour, tout d'abord : l'habitat. Le roi, en effet, se doit de résider dans le palais le plus considérable, un espace conçu pour le grand spectacle de la monarchie, qu'aucune autre puissance ne doit égaler, par ses dimensions, sa richesse, sa décoration.
L'aliment du mécanisme de cour, ensuite : le système des dépenses. Le luxe est une nécessité. Il induit une consommation de prestige, indexée selon le rang que chacun occupe dans l'ordre nobiliaire. Le jeu — on gagne et on perd beaucoup à Versailles — est sans doute le révélateur le plus spectaculaire de cette économie de la dépense.
Le moteur de cette société est l'étiquette, qui règle la place, la fonction, l'attitude, le moindre geste de chacun, notamment lors des solennels levers et couchers du roi. Dans ce jeu à l'équilibre instable, le souverain règne en maître : il a transformé l'étiquette en un instrument de domination, d'autant plus que la représentation cérémoniale dont Versailles offre un théâtre permanent permet de maintenir les privilèges des grands, la hiérarchie entre eux, la distance aussi qu'ils doivent afficher, notamment à l'égard de ceux qu'ils estiment leur être inférieurs.
Cette mise en scène entraîne un changement des comportements et des sentiments affichés : Versailles fait naître, en quelque sorte, l'homme moderne, car la civilité des hommes de cour repose sur des contraintes, des autocontraintes devenues