Le bonheur est-il un droit ?
INTRODUCTION:
Le «bon heur», en ancien français, désigne le bon hasard, le sort favorable. L'étymologie suggère donc que le bonheur serait caractérisé par sa contingence, par sa dépendance à l'égard de la fortune. Les philosophes grecs, en revanche, le faisaient reposer sur le savoir et la vertu. Pour être heureux, selon eux, il faut posséder la sagesse. S'il dépend de mon effort d'être heureux, alors je suis responsable de mon propre bonheur, et ne puis m'en prendre qu'à moi-même si j'échoue à le trouver. Je ne peux pas le réclamer comme s'il s'agissait d'un droit, c'est-à-dire d'un dû. Mais si le bonheur dépend du hasard des circonstances, je ne suis pas davantage fondé à l'exiger. S'il dépend du hasard, il ne peut être qu'un fait, tandis que le droit suppose une rectitude, un ordre et une volonté, une fin consciente. Or le hasard est aveugle, je ne peux rien en exiger. Quel que soit le cas, le bonheur ne serait donc pas un droit. A qui pourrais-je bien le réclamer? C'est peut-être seulement si le monde est gouverné, non par la fortune aux yeux bandés, mais par une divinité bonne et intelligente, que le bonheur peut être espéré à titre de récompense. C'est donc seulement, semble-t-il, dans une perspective religieuse que le bonheur pourrait être exigé.
I. Le bonheur comme récompense divine?
«Une somme de bonheur est due à chaque individu (...) Si peu que l'on m'en prive, je suis volé» (Gide, les Nouvelles nourritures). De qui pourrais-je bien attendre le bonheur, sinon de Dieu? Dieu seul semble avoir la puissance d'accorder le bonheur à ceux qu'il élit.
Mais une telle attente repose sur une hypothèse qu'il serait hasardeux de tenir pour vraie. Que Dieu existe, cela est un article de foi, non une certitude. Par conséquent, l'idée que je reçois mon bonheur de Dieu ne peut convenir qu'à ceux qui croient. Mais même un croyant peut suspecter cette idée de reposer sur une illusion. L'homme, trouvant autour de lui