Les risques du progrès
[introduction]
Pour qui observe l’état actuel de la recherche scientifique, le divorce est criant entre ceux qui prétendent que l’homme a le droit de savoir et ceux qui revendiquent le droit de ne pas savoir. A première vue, l’homme détient un pouvoir immense dont les victoires et les retombées n’ont pas fini d’étonner. L’Homme se distingue en effet des autres espèces vivantes par un pouvoir incomparable que les intervenants de ce dossier affirment sans nuances : Christian de Duve rappelle dans son article « A quoi pensez-vous ? » pour Libération de décembre 1999, que l’apparition de l’Homme sur la planète a coïncidé avec un tournant inouï dans la vie de la Terre : aucune autre espèce n’a jamais eu, comme lui, le pouvoir de comprendre et de modifier le monde qui l’entoure ; cette capacité a, en outre, la particularité de résulter de son intelligence, de ses savoirs. Ce pouvoir est confirmé par France Quéré, dans son essai sur L’éthique et la vie de 1991, quand elle prédit que nul ne sait encore ce qu’il lui reste à découvrir ; Helga Nowotny, dans l’article pour la revue Débats intitulé « Repenser la science », en 2003, décrit aussi la « gigantesque et unique machine à innover » dont disposent les sociétés modernes : la recherche se nourrirait d’elle-même, offrant des perspectives illimitées, infinies à la découverte scientifique. Ce pouvoir est en outre en progression permanente et tout particulièrement dans les sociétés modernes, comme le souligne l’article de Libération : l’Homme non seulement progresse mais se donne désormais tous les moyens d’exercer ce pouvoir ; c’est au point que France Quéré y voit un nouveau défi lancé à Dieu, une nouvelle preuve de l’orgueil prométhéen de l’Homme quand il se fait démiurge et perce les secrets mêmes de la vie, en particulier dans l’obstétrique, la génétique, les sciences de la vie. Un exemple effrayant en est donné dans le roman de Mikhaïl Boulgakov, Cœur de Chien, de