Souv_Europe
Jean-Marc Ferry
La difficulté de principe à laquelle se heurte la tentative de penser un Etat des peuples unis tient d’abord au problème de la souveraineté une, indivisible et inaliénable. Qu’un Etat soit souverain ne signifie toutefois pas que son pouvoir soit absolu et sans limite. Dans l’Etat de droit démocratique, les pouvoirs publics sont fonctionnellement distingués, tandis que le pouvoir politique est limité constitutionnellement, sans que cela ne ruine sa souveraineté. Une telle compatibilité entre la souveraineté démocratique et la limitation du pouvoir politique a trouvé historiquement son ancrage le plus ferme dans la distinction libérale entre la source et l’exercice de l’autorité. Ainsi Benjamin Constant avait-il posé conjointement le principe démocratique de la souveraineté du peuple : « Toute autorité qui gouverne une nation doit être émanée de la volonté générale », et le principe libéral de la limitation du pouvoir politique : « La volonté générale doit exercer sur l’existence individuelle une autorité délimitée »1. Cependant, Constant ne raisonnait là que sur la relation entre l’Etat national et ses ressortissants en tant qu’individus-citoyens, c’est-à-dire sur les limitations qu’au regard de leur liberté il conviendrait d’apporter à l’exercice de la souveraineté politique dans le cadre du droit interne, ou jus civitatis, encadré par une Constitution affirmant les droits fondamentaux individuels.
Selon la conception classico-moderne, qu’elle soit libérale ou républicaine, on admet que le peuple s’incarne dans la nation, que la nation est le peuple en corps, et que l’Etat en est la personnalité juridique ainsi que l’élément de volonté, d’action et de responsabilité politiques, qui confère à la nation sa qualité d’ « être-reconnu » dans le milieu des relations entre Etats souverains. Mais, cela étant posé, se repose le problème de la limite légitime à l’exercice de la souveraineté politique,