Violence et éthiques
ESSAIS
Violence et éthique
Esquisse d'une critique de la morale dialectique à partir du théâtre politique de Sartre
par Pierre Verstraeten
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GALLIMARD
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays, y compris l'U.R.S.S. © Éditions Gallimard, 1972,
A Annie O., en souvenir.
Aucun homme, aussi grand soit-41, aussi lucide, aussi généreux soit-il, ne peut dicter son cours à l'Histoire, empêcher l'inévitable ou réaliser l'impossible. Aucun homme ne peut donner à d'autres hommes la consigne de se sacrifier pour la cause de la liberté, parce que les hommes ne renoncent pas à leur confort, à leurs enfants, à la lumière du jour, les hommes ne meurent pas pour obéir à une consigne étrangère. S'ils le font c'est par conviction, par un choix intime, irrémédiable, personnel. RÉGIS DEBRAY, Déclaration devant le conseil de guerre de Camiri.
Sartre n'a jamais donné la Morale annoncée à la fin de L'Êtr.e et le Néant. Cependant, si son œuvre a exercé et exerce toujours une emprise non démentie sur un large public, c'est essentiellement par la dimension pratique que promeut, explicitement ou implicitement, son discours : ses idées sont un centre de référence naturel pour une partie non négligeable des intellectuels et, de proche en proche, pour certaines sphères politiques; ses formules, jamais innocentes, représentent le plus souvent la syntaxe d'un langage de connivence dans lequel un mot entraîne avec lui toute une sphère d'expérience : ébranlant l'idéologie officielle ou consolidant la précarité de celle à venir. Mais si, à ce titre, la problématique contemporaine s'annonce de plus en plus à travers la structuration des réponses que lui a données l'existentialisme, celui-ci ne risque-t-il pas de devenir désuet à force d'évidence, et son triomphe menacé d'un affadissement s'il s'avère qu'il a été le plus souvent sollicité à travers ce qui peut apparaître comme une vulgarisation concertée, mais à effets